Je réfléchie depuis plusieurs jours à ce texte, depuis des années à ce thème.
Des relations et des dialogues entres les humains, il y a un postulat de base : je ne suis pas l’autre et l’autre n’est pas moi !
En découle mon incapacité, quoi que je fasse, à ressentir, comprendre et interpréter avec exactitude les sentiments, les émotions d’autrui et réciproquement.
Bien sûr la communication permet de tomber d’accord sur l’essentiel, en surface. Lorsque je dis « blanc », la couleur que j’évoque sera comprise comme telle par mon interlocuteur mais en fait son « blanc », parce qu’il fera référence à des souvenirs, à ses émotions, à ses valeurs, à son vécu qui ne sont pas forcément les miens, sa couleur et la notion qu’il en a, ne peut être, trait pour trait semblable à la mienne. Ce qui vaut pour une chose aussi objective qu’une couleur est encore plus vrai pour les sentiments et plus largement pour la sémantique des mots et des expressions.
C’est pour ça qu’il y a toujours dans le dialogue humain au sens large, cette petite différence, ce décalage, ce gap perceptible ou non entre mon ressenti et le ressenti de l’autre, mon affecte, mes émotions et ceux de l’autre, mes pensées et celles de l’autre. Le langage n’est pas une courroie de transmission mécanique et heureusement.
En amour le Gap est omniprésent : Impossible de connaitre à chaque instant précisément ce que ressent son partenaire. Et pourtant, chacun est en quête de réciprocité et recherche systématique l’équivalent de ce qu’il ressent chez l’autre et en tous cas une lecture de ce qu’éprouve l’autre. L’égalité n’existe pas, pas plus que la transparence, il y a toujours cette différence : il y a le Gap.
Même pour deux personnes qui parlent la même langue, une expression aussi courante que « je t’aime » aura une signification et une échelle de valeur tellement différente d’un individu à l’autre. Certaines cultures et certaines personnalités l’utiliseront à tord et à travers d’autres en feront un usage précieux.
Lorsque les langues et les cultures sont différentes, forcément les référentiels de valeurs sont encore plus éloignés et l’effet Gap est encore plus prononcé.
Pourtant, le Gap ne compromet rien. Le Gap est stimulant au contraire: Lorsqu’il y a un Gap important, chacun est contraint à plus d’efforts dans sa démarche, dans son expression, dans sa compréhension. L’expression et la communication n’est plus machinale, il y a une posture volontaire avec déjà de l’empathie, au final plus d’investissement et plus d’attrait.
Le Gap est une part d’incompréhensible, d’incommunicable, qui fait qu’en toute chose, il y a une déperdition dans la communication entre nous. C’est une part du message qui s’est évanouie, une part des mots, des sens qui se sont perdus. C’est la « part des anges » du dialogue entre les humains.
J’aime le Gap.
Il donne de la saveur aux choses. Toujours il y a plus d’intérêt dans la séduction, l’amour ou l’amitié lorsqu’il y a des terres inconnues à conquérir. Deux univers éloignés créent beaucoup plus de richesses en se rencontrant qu’en mariant deux horizons semblables.
Les différences de langues, de cultures, de valeurs ne m’ont jamais fait peur, bien au contraire. J’ai vite compris que c’était un antidote à la routine. Rien n’est plus exaltant, plus stimulant que la découverte et l’apprivoisement du Gap.
Le Gap est une richesse. C’est la différence, les contrastes entre les individus qui procurent cette richesse.
C’est pour ça que le Gap c’est le sel de ma vie et que le Gap c’est tout.